DIMARS 6 DE DESÈMBRE 2016
Santo Luço (Lucìo)
GROUMANDIGE
Eiçò se passo à Banoun, qu'es, coume proun sabès, uno pichouno viloto, de-vers la colo de Luro, entre-mitan de Vau-cluso e dis Aup. Ùni cinq o sièis cassaire devien, l'endeman, faire uno dinado sus l'erbo, dins li bos dóu Mau-Cor, canta pèr Aubanèu ; e, sènso parla d'un perdigau pèr tèsto, nimai d'uno lèbre espetaclouso qu'èro lou cepoun de la riboto, cadun avié proumés de ié pourta quaucarèn de requist pèr li bouto-en-trin e lou dessèr : quau un cambajoun, quau d'aquéli saussisso d'estiéu, tant coungous-touso ! aquest, un flasco de vin kiue ; l'autre, uno boutiho de ratafia d'agrafioun. Tistet s'en vèn atrouba soun ami Danis pèr charra ensèn d'aquéu gros afaire :
– Eh ! bèn, ié fai, que comtes de nous adurre de bon, deman ?
– Vène-t’en emé iéu, e lou vas vèire, e me diras s'ai bon goust.
Aqui-dessus, Danis abro soun calèu, pren moun Tistet pèr la man, e descèndon à la croto.
Vous dirai que sentié gaire bon long dis escalié ! Mai quand arribèron de-bas e que Danis venguè pèr durbi la porto, sourtiguè d'aqui, moun bèl ami de Diéu ! uno sentour talamen forto que lou calèu d'enca 'n pau s'amoussavo, e que lou marrit Tistet se meteguè à crida :
– Mai, sacre vilan ! que ié tènes dins ta croto ? quauque chin pourri ?
– Eh ! noun... Veses pas qu'es de froumage ?
Tistet alor s'avanço encaro, reniflo mai, e tout à-n-un cop si narro se duerbon, sa caro s'espandis, sis iue petejon :
– Es verai, crido. Oh ! coume sènte bon ! Embaumo, moun bèu, embaumo ! Oh ! coume nous anan regala deman ! Iéu, s'ère lou rèi, de froumage ansin, n'en manjariéu tout lou jour !
Fau dire que lou froumage de Banoun es lou rèi di froumage. Se n'espedis pertout, à Marsiho... e fin qu'en Americo. Mai, s'ai un counsèu à vous douna, e se, de fes que i’a, vous embarcavias pèr lou nouvèu mounde, prenguessias pas lou batèu que porto li froumage de Banoun...
GOURMANDISE
Ceci se passe à Banon qui est, comme vous le savez bien, une toute petite ville, vers la montagne de Lure, entre le Vaucluse et les Alpes. Quelque cinq ou six chasseurs devaient, le lendemain, faire un pique-nique, dans les bois de Malcœur, chanté par Aubanel ; et, sans parler d’un perdrix pas personne, ni d’un lièvre spectaculaire qui était le plat principal de la ribote, chacun avait promis d’apporter quelque chose d’exquis pour les mises-en-bouche ; qui un jambon, qui de ces saucisses d’été, si savoureuses ! qui un fiasque de vin cuit ; l’autre, une bouteille de ratafia de cerise. Tistet vient trouver on ami Denis pour parler avec lui de cette affaire d’importance :
— Et bien ! lui dit-il que comptes-tu nous amener de bon demain ?
— Viens avec moi, et tu vas le voir, et tu me diras si j’ai bon goût.
Là-dessus, Denis allume sa lampe à huile, prend mon Tistet par la main, et ils descendent à la cave.
Je vous dirai que cela ne sentait guère bon le long des escaliers ! Mais quand il arrivèrent en bas et que Denis ouvrit la porte, mon bel ami de Dieu ! Une senteur tellement forte que la lampe faillit s’éteindre, et que le mauvais Tistet se mit à crier :
— Mais, sacdré vilain ! qu’est-ce que tu enferme dans la cave ? quelque chien pourri ?
— Et non !.. Tu ne vois pas que c’est du fromage ?
Tistet alors s’avance encore, renifle davantage, et tout d’un coup ses narines s’ouvrent, son visage s’épanouit, ses yeux pétillent :
— C’est vrai, crie-t-il. Oh ! comme il sent bon ! Il embaume, bon beau, il embaume ! Oh ! comme nous allons nous régaler demain ! Moi si j’étais roi, des fromages comme celui-ci, j’en mangerait tout le jour !
Il faut dire que le fromage de Banon est le roi des fromages. On en expédie partout, à Marseille.. et jusqu’en Amérique. Mai, si j’ai un conseil à vous donner, et si, il arrive que vous vous embraquiez pour le nouveau monde, ne prenez surtout pas le bateau qui y emmène les fromages de Banon…
Leoun de Berluc-Pérussis – Cigalo de Pourchiero
SUS LA PLAÇO DI TERRAU
Sian à Manosco. Uno moulounado de gènt clafis la Plaço di Terrau, aquelo plaço que sarié tant bello, se i’avié d'oustau à l'entour e quicounet au mitan. Un derrabaire de dènt, vesti en generau de bregado, brassejo dóu daut de soun càrri pintourleja. A soun coustat, un paiasso boufo dins sa troumbono, e n'en largo de noto espeta-clouso que meton en ràbi tóuti li chin de la vilo ; pièi, de tèms en tèms, s'aplanto, desbouito li tuièu de soun estrumen, e n'en fai raia l'escupigno sus lou nas d'aquéli que badon lou plus proche. Quand lou musicaire a fini soun chariverin, lou generau acou-menço l’istòri di dènt qu'a derraba dins li cinq partido dóu mounde ! Es pas pèr centenau de milo que se comton, es pèr milioun ! Lis a tóuti gardado, e n'en pourrié faire basti un castèu ! Es éu qu'a gari lis agùsti ganacho dóu Presidènt de la Repu-blico rùssi e de l'Emperaire dis Estat-Uni. Mai es subre-tout pèr li damo e damisello que soun talènt es amirable ! Sa man es talamen lóugiero que, sènso doulour, sènso esfors, vous culis uno dènt dins la bouco coume uno nose dins uno sieto. Demandas à la Rèino dóu Japoun, que ié mando uno despacho tre que se sènt lou mendre mau dóu caire di gengivo.
Tambèn noste ome a mes, en gròssi letro, sus soun ensigno : Dentiste pour dames.
Ausènt aquéu debana, poudès crèire que li bedigas piton au musclau : n'en mounto dès, quinge, vint sus la veituro. Uno pauro femo, li gauto enviróutado d'un moucadou blu, se presènto à soun tour. Tremolo, pecaireto, coume un chin bagna. Lou generau la rasseguro :
– Acò n'es rèn de rèn, ma bono !
L'autro, à la perfin, se resigno, s'assèto, duerb li bouco, e vague lou derrabaire de ié planta la pinso dins la ganacho ! Mai vaqui que la paciènto, espaventado de senti lou glas d'aquéu ferre que ié gassigno vers la gargamello, se met tout à-n-un cop à crida coume se l'espeiavon.
Just, à-n-aquéu moumen, lou bragueto tiravo la dènt. Quau vous a pas di qu'en cridant, la malurouso vai bouta sa lengo dins la pinso ; e la pinso, malan de sort ! liogo d'adurre la dènt, ié vai desracina la lengo ! Ah ! quinto cridadisso sus touto la plaço, quand lou mounde veguèron brandussa, au bout de l'estrumen, aquel orre pendigouioun de car umano !
Lou charlatan perd la tèsto, descènd de soun càrri, e se met à landa de tóuti si cambo.
Mai quau i'es après ? es l'ome de la pauro deslengado, que crido tant fort que pòu :
– Arrestas-lou ! arrestas-lou !
Dous gendarmo, pèr bonur, vènon à soun ajudo, e eiça vers lou pourtau de la Saunarié, finisson pèr aganta lou courrèire :
– A la fin, te tène ! ié dis l'ome de la malurouso, à la fin te pode paga toun degu. Ah ! coume aviés resoun de vanta lou gàubi de ta man divino ! Tè ! ome biaissu dintre li biaissu ! tè ! vaqui vint franc : segur es pas trop, pèr lou service que m'as rendu !
Creirias bessai qu'aquel acidènt faguè perdre à noste generau la confianço dóu mounde ? Eh ! bèn, nàni ! Me siéu leissa dire qu'à l'encountràri, sa clientèlo, desempièi, a mai que doubla ! Quand li femo de Manosco an mau de dènt, sis ome li menon voulountié à-n-aquéu derrabaire.
Se la tiéuno, ami legèire, o bèn ta sogro, soufrissié d'uno doulour qu'es tant de plagne, lou Cascarelet se farié 'n plesi de te baia l'adrèisso dóu Dentiste pour Dames.
Leoun de Berluc-Pérussis
Conte prouvençau, 1920
SUR LA PLACE DU TERREAU
Nous sommes à Manosque. Un tas de personnes remplit la Place du Terreau, cette place qui serait si belle, s’il y avait des maisons à l’entour et un petit quelque chose au milieu. Un arracheur de dent, vêtu en général de brigade, agite les bras du haut de son chariot peinturluré. A son côté, un clown souffle dans son trombone, et il en sort des notes spectaculaires qui mettent en rage tous les chiens de la ville ; puis, de temps en temps, il s’arrête, déboite les tuyaux de son instrument, et en fait jaillir la salive sur le nez des badauds qui sont le plus proche de lui. Quand le musicien a fini son charivari, le général commence l’histoire des dents qu’il a arraché dans les cinq parties du monde ! Ce n’est pas par centaine de mille qu’elles se comptent, c’est par millions ! Il les a toutes gardées, et il pourrait en faire bâtir un château ! C’est lui qui a guéri les augustes mâchoires du Président de la République russe et le l’Empereur des États-Unis. Mais c’est surtout pour les dames et les demoiselles que son talent est admirable ! Sa main est tellement légère que, sans douleur, sans effort, il vous cueille une dent dans la bouche comme un noix dans une assiette. Demandez à la Reine du Japon, qui lui envoie une dépêche dès qu’elle sent la moindre douleur du côté des gencives.
Aussi notre homme a mis, en grosses lettres, sur son enseigne : Dentiste pour dames.
En entendant ce boniment, vous pouvez penser que les nigauds mordent à l’hameçon : il en monte dix, quinze, vingt sur le chariot. Une pauvre femme, les joues enveloppées d’un mouchoir bleu, elel se présente à son tour. Elle tremble, la pauvre, comme un chine mouillé. Le général la rassure.
— Cela n’est rien ma bonne !
L’autre, à la fin, se résigne, s’assoie, ouvre la bouche, et voilà l’arracheur qui lui plante la pince dans la bouche ! Mais voici que la patiente, épouvantée de sentir le froid de ce fer qui lui tritura la gorge, se met tout d’un coup à crier comme si on l’écorchait.
Juste à ce moment, le charlatan tirait la dent. Ne voilà-t-il pas qu’en criant, la malheureuse met sa langue dans la pince ; et la pince, coquin de sort ! au lieu d’attraper la dent, arrache la langue ! Ah ! quelle clameur sur toute la place, quand les gens virent gigoter, au bout de l’instrument, cet horrible lambeau de chair humaine !
Le charlatan perd la tête, descend de son chariot et se met à courir de toutes ses jambes.
Mais qui lui court après ? c’est le mari de la pauvre qui a perdu sa langue, et qui crie aussi fort qu’il peut :
— Arrêtez-le ! arrêtez le !
Deux gendarmes, par bonheur, viennent à son aide, et là vers le portail de la l’Abattoir, ils finissent par attraper le coureur :
— Enfin, je te tiens, dit le mari de la malheureuse, enfin je peux te payer ton du. Ah ! comme tu vais raison de venter l’habilité de ta main divine ! Tiens ! homme adroit parmi tous les adroits ! tiens ! voici vingt francs : sûr que ce n’est pas trop pour le service que tu m’as rendu !
Vous croiriez peut-être que cet accident à fait perdre à notre général la confiance des gens ? Eh bien, non ! Je me suis laissé dire qu’au contraire, sa clientèle, depuis, a plus que doublé ! Quand les femmes de Manosque ont mal aux dents, leur mari les mènent volontiers à cet arracheur.
Si la tienne ami lecteur, ou bien ta belle-mère, soufrait d’une douleur dont elle se plaindrait, le Cascarelet se ferait un plaisir de te donner l’adresse du Dentiste pour Dames.
Léon de Berluc-Pérussis
Contes provençaux, 1920